18 Nov UN STATUT CADRE… POUR QUOI FAIRE ?
L’encadrement a-t-il perdu de son attractivité ?
Gérard Mardiné : On voit effectivement, depuis quelques années, une désaffection des salariés à l’égard de la prise de responsabilités. L’encadrement intermédiaire, notamment, est perçu comme impliquant davantage de servitude et de contraintes, un engagement personnel plus important associé à un déséquilibre vie professionnelle-vie privée. De fait, des employeurs confondent l’autonomie avec une disponibilité sans limite.
En outre, beaucoup de salariés ne trouvent pas suffisamment de sens à leur travail pour s’engager davantage. Ce désamour nuit à l’économie.
Charles-Emeric Le Roy : Ce qui est sûr, c’est que les cadres bénéficiaient auparavant d’un certain nombre d’avantages qui les différenciaient des non-cadres. Aujourd’hui, la tendance est de lisser les différents régimes dans une optique d’équité – même si les employeurs ont toujours la possibilité, pour les systèmes de retraite supplémentaire et de prévoyance complémentaire, d’opérer une distinction entre cadres et non-cadres au sens des articles 4 et 4 bis de la convention collective nationale du 14 mars 1947.
Par ailleurs, lorsque le passage au statut cadre s’accompagne d’un passage au forfait-jours, le salarié peut perdre le bénéfice lié à l’exonération de cotisations salariales des éventuelles heures supplémentaires, rétablie en janvier dernier. Certains font leurs calculs. Et s’ils sont peu nombreux, il y a effectivement des salariés qui refusent de devenir cadre, faute d’une augmentation suffisante pour absorber des cotisations supplémentaires qui ne ne généreront pas forcément plus de droits.
La réforme de l’assurance chômage a-t-elle une incidence sur les cadres ?
C-E LR : Les personnes gagnant plus de 4 500 euros bruts par mois – en théorie, cela ne concerne pas que les cadres – se voient appliquer une dégressivité de 30 % de leurs allocations à partir du septième mois d’indemnisation. Nous avons fait des simulations pour certains de nos clients et, pour un salaire de 6 000 euros bruts mensuels, par exemple, cela représente une perte de 500 euros nets.
Alors que le gouvernement entend favoriser la création d’entreprise, cette disposition, qui s’ajoute aux diverses carences (congés payés, indemnités supra légales) peut remettre en cause la capacité des personnes concernées à monter des projets intéressants. Les entreprises qui se séparent d’un salarié dans le cadre d’une négociation de gré à gré n’ont pas forcément intégré toutes ces données et nous les alertons sur ce point.
GM : Près d’un million et demi de personnes actuellement indemnisées seraient concernées par les différents effets de la réforme. La dégressivité des allocations va en toucher bien moins, mais cela va fragiliser des cadres de plus de 50 ans pour qui les postes correspondant à leurs compétences et à leur niveau de salaire ne sont pas légion. On va vers un déclassement de cette population qui sera contrainte de se tourner vers des emplois moins qualifiés et moins bien rémunérés.
Quels sont les principaux impacts de la réforme Agirc-Arrco ?
C-E LR : Depuis le premier janvier 2019, le système unifié de retraite complémentaire ne fait plus de distinction entre cadres et non-cadres [il s’articule désormais autour de deux tranches de cotisations en fonction des rémunérations, la première comprenant celles inférieures ou égales au plafond de la Sécurité sociale (PASS), avec un taux de 6,2 %, la seconde comprenant les rémunérations supérieures jusqu’à 8 PASS, avec un taux de 17 %, NDLR].
La cotisation GMP (garantie minimale de points) qui garantissait l’acquisition d’un minimum de 120 points de retraite complémentaire sur une année pour les salariés cadres et assimilés dont le revenu ne dépassait pas un certain seuil de salaire disparaît.
En pratique, cela va augmenter un peu le salaire net des salariés concernés, mais ils ne bénéficieront plus de ces points.
S’y ajoute la mise en place du coefficient de solidarité, entré en vigueur au 1er janvier pour la génération 1957, qui instaure une décote de 10 % pendant trois ans (dans la limite de 67 ans) à tous les salariés liquidant leur retraite à taux plein dans le régime de base.
Quel est l’état d’avancement de la négociation sur l’encadrement ?
GM : Cette négociation, prévue par l’ANI relatif aux retraites complémentaires du 30 octobre 2015, était censée aboutir avant le 1er janvier 2018. Mais elle patine, dans un contexte de remise en cause, par le Medef et certains organismes patronaux de branche, de l’accord du 17 novembre 2017 concernant la prévoyance des cadres. Lors de la dernière réunion qui a eu lieu le 29 mai, les organisations syndicales (CFE-CGC, CFDT, UGICT-CGT, FO, CFTC) ont remis chacune une définition, quasiment identique, des salariés de l’encadrement. Et lors de son dernier congrès, la CFE-CGC a, pour sa part, adopté une série de résolutions concernant la valorisation de la fonction managériale et la formation de l’encadrement.
Il est en effet nécessaire de substituer aux anciens articles 4 et 4 bis de nouvelles dispositions plus actuelles prenant en compte le numérique, le management en mode projet etc.
Par ailleurs, les contrats collectifs de retraite et de prévoyance ouverts à des catégories objectives de salariés définies par référence aux articles 4 et 4 bis ne sont plus « bordés » juridiquement, en dépit d’une tolérance de la Sécurité sociale. Les exonérations sociales et fiscales qui leur sont associées pourraient être remises en cause, et cela représente des sommes considérables.
Qu’en est-il de la future réforme des retraites ?
GM : L’objectif est de reculer l’âge de départ à la retraite tout en pesant sur le montant des pensions. C’est une réforme inutile et qui sera forcément mal construite car elle nécessiterait, au préalable, d’harmoniser tous les systèmes de rémunération : comment intègre-t-on les primes ? Lesquelles prend-on en compte ? etc.
Autre point de préoccupation : on est actuellement en train de déstructurer le monde du travail avec une part croissante de gens qui cotisent peu, comme les auto-entrepreneurs. Nous pensons donc qu’il faut d’abord remettre d’équerre le système d’activité, faute de quoi les cadres apparaîtront comme des nantis sur lesquels on tapera à nouveau pour équilibrer le régime.
C-E LR : Face à l’ampleur de la manifestation prévue le 5 décembre, le gouvernement essaie de calmer le jeu, mais en l’état, le projet de réforme aura deux conséquences majeures pour les cadres : d’une part, lecalcul de la pension, qui se fait aujourd’hui sur les 25 meilleures années, prendra en compte l’ensemble de la carrière, ce qui fera forcément baisser le montant des pensions.
D’autre part, pour les cadres les mieux rémunérés, l’assiette de cotisation sera plafonnée à hauteur de 120 000 euros par an, contre plus de 324 000 euros (8 PASS) à l’heure actuelle, d’où un gain de salaire net, mais des droits en moins. La question de la préparation de la retraite devient donc de plus en plus prégnante, tant pour les cadres que pour les employeurs soucieux d’améliorer le taux de remplacement de leurs collaborateurs via des dispositifs de retraite supplémentaire.
Gérard Mardiné est secrétaire général de la CFE-CGC
Charles-Emeric Le Roy est associé du cabinet GMBA.
Publié le 06/11/2019
Propos recueillis par Hélène Truffaut
Source: focus-rh
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